L’emmerdeur salutaire

Extrait d’un entretien bien connu de Bernard Pivot avec René Etiemble (1980) où l’écrivain assumait sa réputation d’emmerdeur. Un bel idéal d’une nécessité toujours plus brûlante auquel tout catholique devrait être particulièrement sensible.

B. Pivot : Je vais vous lire une phrase qui était le début d’un article que vous consacrait récemment Pierre Assouline. Il disait : « Etiemble est un emmerdeur mais il faut l’encourager à persévérer ». J’ai l’impression que vous l’aimez ce mot d’emmerdeur, car c’est un beau mot de la langue française mais est-ce qu’il vous va bien ?

R. Etiemble : Je n’ose pas dire que je le mérite car ce serait un trop bel éloge. Il me semble qu’il n’y a presque pas d’emmerdeurs dans la langue française c’est-à-dire des gens qui disent toujours ce qu’ils pensent, de qui que ce soit, et de quelque idée que ce soit ; or, il me parait aujourd’hui plus que jamais où le rôle de l’écrivain doit lutter tant qu’il peut contre le rôle de ce qu’on appelle les médias… Il me parait que l’écrivain doit être par définition, quelle que soit son oeuvre, poétique, littéraire, critique, dramatique, il doit être l’homme qui emmerde…pourquoi ? Parce qu’il dit sur tout le monde et sur toute chose ce qu’il croit, au prix de sa vie, être la vérité.

B. Pivot : Mais est-ce qu’il n’y a pas de moins en moins d’emmerdeurs dans la république des lettres ?

R. Etiemble : J’en ai peur parce que les lois du commerce sont ce qu’elles sont, il faut bien le dire, et qu’un emmerdeur, cela ne se vend pas toujours très bien.

Tiré de la dernière émission d’Apostrophes (22 juin 1990) – Archives INA (01:25:39-01:26:52)

2 commentaires sur “L’emmerdeur salutaire

  1. Monsieur l’abbé,
    A mon avis, être un emmerdeur est plutôt la conséquence ; la cause est expliquée en peu de mots par Etiemble lorsqu’il dit : « Parce qu’il dit sur tout le monde et sur toute chose ce qu’il croit, au prix de sa vie, être la vérité…. »
    Dans le même registre, récemment j’ai lu le livre de Soljénitsyne : « Révolution et mensonge »( éditions Fayard – 2018) dans lequel on trouve un texte intitulé «  vivre sans mentir » écrit le jour même de son arrestation avant son bannissement d’URSS.
    Il y écrit notamment … « Et c’est là justement que se trouve, négligée par nous, mais si simple, si accessible, la clef de notre libération : LE REFUS DE PARTICIPER PERSONNELLEMENT AU MENSONGE ! qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitable au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas PAR MOI !… ».
    Dans l’État de forme soviétoïde qu’est devenue la France, c’est un devoir moral d’appliquer les principes édictés par l’écrivain russe tout autant que d’être un sacré emmerdeur comme l’écrivain français.

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    1. Cher Ribus, je suis bien évidemment tout-à-fait d’accord avec vous sur ce point et Etiemble l’entend également de la même façon. Il faut d’ailleurs résister à la tentation d’emmerder par principe, pour se faire plaisir, parce qu’on aurait un talent pour cela 😂.
      Merci de cette citation de Soljenitsyne, que je ne connaissais pas, mais dont le contenu est un principe moral universel.

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