« L’erreur de toute l’école mythique (…) est de penser que, parce qu’un fait est riche d’enseignement et de sens, il ne peut être que fictif, un pur produit de l’esprit humain » [1]
Contre toute attente, 2018 n’a nullement vu surgir le “marronnier” commun aux médias dominants et néo-païens selon lequel Noël ne serait que le détournement d’une fête païenne. Sans doute, cette propagande domine-t-elle désormais suffisamment les esprits même catholiques pour ne plus devoir être martelée aussi fréquemment que par le passé.
Certes, les exposés péremptoires sur ce sujet des promoteurs de l’Europe vennérienne peuvent ébranler un instant mais une recherche sérieuse sur internet suffit à révéler le caractère tendancieux de leur démonstration, moins par ce qui est affirmé que par ce qui est tu [2]. Ainsi n’est-il pas étrange qu’une étude soutenant l’historicité de la date de naissance du Christ [3], accessible sur internet depuis au moins l’an 2000, n’y soit jamais mentionnée, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse ?
On admet en effet un peu vite que la célébration de la Nativité fut introduite au IVe siècle par l’Eglise romaine pour contrarier la fête païenne du Natale Solis Invicti (”naissance du soleil invaincu”). Cette fête aurait été fixée au solstice d’hiver, lorsque le soleil reprend son cours vers son plus grand resplendissement. Les chrétiens se seraient emparés de cette date, plaçant 9 mois plus tôt l’Annonciation (25 mars) et 6 mois avant la naissance du Christ, celle de son précurseur saint Jean-Baptiste (24 juin). A rebours de cette théorie, les travaux d’Annie Jaubert et Shemarjahu Talmon ont permis d’établir, dès les années 1950, que, selon le roulement bisannuel des classes sacerdotales, saint Zacharie, qui appartenait à la classe d’Abia (Luc, I, 5), officiait dans le Temple du 8 au 14 du 3e mois du calendrier et du 24 au 30 du 8e mois. Ce second tour correspond à peu près à la dernière décade de septembre ; or, l’Orient byzantin, contrairement à l’Occident, célébrait depuis des temps immémoriaux l’annonce à Zacharie le 23 septembre. L’historicité de cette date admise, celle de l’Annonciation (25 mars), de la naissance de saint Jean-Baptiste (24 juin), et de la naissance du Christ (25 décembre) découle de la simple lecture de saint Luc [4]. L’indication de la classe d’Abia par l’évangéliste remonterait ainsi à une vénérable tradition judéo-chrétienne jérusalémite, étrangère au contexte romain du IVe siècle.
Mais le silence le plus suspect des néo-païens au sujet de Noël porte sur la remise en cause récente de la thèse du Sol Invictus le 25 décembre et de sa place dans le système des fêtes calendaires [5]. Ainsi le spécialiste de la religion romaine Steven Hijmans a-t-il souligné le peu de sources disponibles concernant cette fête romaine du 25 décembre. Cette dernière ne figure que dans le Chonographe de 354, la même source qui mentionne une date pour la Nativité. Considérant irréaliste de penser que le soleil se soit imposé comme divinité suprême dans une Rome polythéiste, Hijmans va jusqu’à écrire “L’idée que les adeptes de Mithra célèbrent le 25 décembre d’une façon ou d’une autre est une invention moderne qui ne repose sur aucune certitude”.
Le soleil est en effet un motif commun sur les monnaies romaines sans qu’il y ait une relation avec un culte nouveau ni même une quelconque divinité : les représentations solaires ne sont que de simples symboles cosmiques ou des emblèmes d’éternité. De même, de nombreuses solennités solaires sont attestées dans le calendrier romain, notamment les 8, 9, 28 août et 11 décembre. Celles qu’aurait introduites Aurélien entre le 19 et le 22 octobre comportaient des jeux solaires avec une course de 36 chars alors que la norme romaine était plutôt de 24. Ce sont ces dates qui constituaient l’apogée annuel du culte solaire ; or, aucune d’entre elles n’était liée au solstice ou à l’équinoxe, bien que les repères cosmiques aient compté beaucoup pour les Romains. C’est pourquoi Hijmans en vient à inverser la thèse habituelle et avance que la course de chars du 25 décembre a pu être instituée en réaction à la nouvelle fête chrétienne de la Nativité.
Cette relecture des sources conduit au refus d’assimiler l’institution de la célébration de Noël à une attitude défensive des Pères de l’Eglise et souligne au contraire le dynamisme de la “théologie solaire” dans le christianisme primitif. La symbolique solaire est déjà très présente dans l’Ancien Testament, notamment les Psaumes et Malachie. Les expressions de Soleil de Justice, Soleil du Salut, de Soleil véritable font partie du vocabulaire chrétien dès le début du IIIe siècle et s’appliquent au Christ. Il devient dès lors vraisemblable d’interpréter différemment de nombreux textes anciens utilisés habituellement pour conforter la thèse de l’inculturation (Julien l’Apostat, saint Léon le Grand, saint Maxime de Turin, saint Augustin etc.).
Faut-il aller jusqu’à considérer qu’une célébration générale du solstice d’hiver dans l’ancienne Rome est un mythe de la rechercher historique ? C’est l’avis d’Hans Förster, papyrologue et coptologue, s’appuyant sur une très bonne connaissance des sources chrétiennes des IIIe et IVe siècles. Il ajoute même que si Noël avait été un simple substitut de solennité païenne, on n’aurait certainement pas attendu les puritains anglais du XVIIe siècle pour en proposer la suppression. En effet, la spécificité du 25 décembre était précisément de se démarquer des grandes fêtes païennes (saturnales et calendes) qui encadraient cette date, réfutant ainsi tout syncrétisme. En tous les cas, le rapprochement n’est jamais exprimé directement par les textes de l’Antiquité tardive.
En fait, en l’absence de sources, les chercheurs modernes pourraient avoir été tentés de transposer sur le calendrier liturgique les observations archéologiques faites à propos des lieux de culte. “Les chrétiens ont certes réhabilité les sanctuaires antiques et les ont aménagés en églises mais n’ont apparemment pas procédé systématiquement de la même manière pour les jours festifs” [6].
Mais pour vous qui craignez mon Nom se lèvera le Soleil de Justice. Et la guérison sera sous ses rayons ; vous sortirez, et vous sauterez comme les veaux d’une étable ; vous piétinerez les méchants, car ils seront comme de la poussière sous la plante de vos pieds, le jour que je prépare, dit l’Eternel, le maître de l’univers (Malachie, III, 20-21).
L’abbé
[1] Paul Claudel, cité dans Aidan Nichols, Chrétienté, réveille-toi, p. 196
[2] Philippe Conrad, Origines et traditions de Noël, Clio 2018
[3] Tommaso Federici, 25 Décembre, une date historique, 30 Giorni, novembre 2000
[4] A l’Annonciation, l’Ange Gabriel annonce à la Vierge Marie que sainte Elisabeth est à son 6e mois de grossesse. Notre-Dame rejoignit sa cousine et resta chez elle trois mois jusqu’à l’approche de la naissance du Baptiste.
[5] Alain Cabantous, François Walter, Noël, une si longue histoire…, Paris, Payot, 2016, p. 37-43.
[6] Ibidem