Quiconque s’élève sera humilié et quiconque s’humilie sera élevé (Evangile selon saint Luc, XIV, 11)
Le 15 août de cette année, la fête de l’Assomption connut une pitoyable tentative de concurrence médiatique à l’occasion des 250 ans de la naissance de Napoléon Ier [1]. En effet, cette commémoration s’annonçant sans véritable intérêt ni retentissement [2], pourquoi s’y attarder si ce n’est pour distraire la France de sa consécration mariale et de son ultime planche de salut [3] ?
Bien entendu, des conservateurs bon teint rappelèrent pour l’occasion le voeu de Louis XIII et la protection de Marie sur le pays mais en même temps ils regrettaient l’énergie et la volonté de puissance de Napoléon [4], révélant ainsi leur perméabilité aux idées modernes notamment charriées par la Nouvelle Droite, nietzschéenne, européenne [5] et crypto-maçonnique [6].
Très insidieusement, cette « napoléonâtrie » d’adolescents attardés [7] prépare des français sans mémoire à la dissolution de leur pays dans une Europe chimérique aux finalités suspectes, sous une dictature « providentielle » pas si « soft » que cela [8]. Le ressort de cette séduction navrante ? La vanité, comme l’expliquait Bonaparte lui-même : « Il leur [les Français] faut de la gloire, les satisfactions de la vanité. Mais de la liberté, ils n’y entendent rien » [9]. Quel contraste notamment avec la France humble et paisible d’Henri Fertet dont « Napo-Macron » [10] censura les références catholiques ! « Je veux une France libre et des Français heureux. Non pas une France orgueilleuse, première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête » [11].
C’est donc par vanité que de prétendus « amoureux de la France » cèdent à nouveau aux sirènes de l’hybris qui mena le pays au naufrage il y a deux cents ans ! Outre le désastre militaire, démographique, économique, politique et diplomatique de la Révolution auquel il contribua, Napoléon mérite également le titre de gloire d’avoir affermi les idéaux maçonniques de la société nouvelle. Pouvait-on attendre de cet ambitieux, fils, frère, disciple et conjoint de maçons, autre chose que de s’allier à la Veuve et de gouverner selon ses voies [12] ? Mais c’est un sujet sur lequel les thuriféraires « patriotes » du grand homme ne s’étendent guère. Etrange !
Napoléon / Marie : quel être sensé pourrait hésiter entre ces modèles antagonistes ? Quelle nostalgie malsaine à l’égard de ce parvenu calamiteux, « le plus improbable des souverains bourgeois » [13] ! Quel obscurcissement de l’esprit et du coeur pourrait éteindre l’admiration jubilatoire et l’espérance universelle en la plus noble des créatures que la Terre ait jamais portées ? En effet, d’une sainteté qui surpassait infiniment la noblesse de ses origines royales, Marie s’abîma au service de Dieu dans une humilité à la hauteur de la Maternité divine à laquelle elle avait été appelée de toute éternité.
Etablie éducatrice et protectrice du genre humain, Notre-Dame ne cesse d’intervenir dans le secret de nos vies et les grands évènements de l’histoire. Combien de fois la France fut-elle gratifiée de son inépuisable sollicitude, notamment en des temps politiquement critiques [14] ? Pontmain (17 janvier 1871), bataille de la Marne (8 septembre 1914), L’Ile-Bouchard (8-14 décembre 1947)… La Vierge Marie ne peut bien sûr être indifférente à la déliquescence annoncée de la France contemporaine que l’empereur fonda sur « les Lumières, la propriété et le commerce » [15]. Napoléon est mort depuis longtemps mais les Français se figurent qu’il les sauverait aujourd’hui de la honte où nous sommes [16]. Devront-ils être à leur tour au bord de la tombe pour daigner accepter le secours de la Reine du Ciel ?
Une expérience journalière fait reconnaître que les Français vont instinctivement au pouvoir : ils n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole. Or, l’égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. Sous ces deux rapports, Napoléon avait sa source au coeur des Français, militairement inclinés vers la puissance, démocratiquement amoureux du niveau. Monté au trône, il y fit asseoir le peuple avec lui ; roi prolétaire, il humilia les rois et les nobles dans ses antichambres ; il nivela les rangs, non en les abaissant, mais en les élevant ; le niveau descendant aurait charmé davantage l’envie plébéienne, le niveau ascendant a plus flatté son orgueil. La vanité française se bouffit aussi de la supériorité que Bonaparte nous donna sur le reste de l’Europe ; une autre cause de la popularité de Napoléon tient à l’affliction de ses derniers jours. Après sa mort, à mesure que l’on connut mieux ce qu’il avait souffert à Sainte-Hélène, on commença à s’attendrir ; on oublia sa tyrannie pour se souvenir qu’après avoir d’abord vaincu nos ennemis, qu’après les avoir ensuite attirés en France, il nous avait défendus contre eux ; nous nous figurons qu’il nous sauverait aujourd’hui de la honte où nous sommes : sa renommée nous fut ramenée par son infortune ; sa gloire a profité de son malheur. (Chateaubriand)
L’abbé

[1] En dehors d’internet, citons notamment Figaro Vox qui évoqua ce non-évènement le 13 août 2019 (cf. infra). Le numéro 1170 de Marianne du 16 au 22 août 2019 revint également sur Napoléon « Vaincu à Waterloo, victorieux dans les mémoires ». Idem pour le numéro d’Historia consacré à « Napoléon chef de guerre », sorti en septembre mais annoncé dès le mois d’août.
[2] Outre le fait que le bicentenaire du sacre de Napoléon (2004) ouvrit une polémique sur le bilan controversé de l’empereur, les pouvoirs publics ne veulent pas saturer l’opinion avant les 200 ans de la mort de celui-ci, le 5 mai 2021, qui devrait être un événement important, cf. Guillaume Perrault, « Patrice Gueniffey : « Nos dirigeants répugnent à commémorer Napoléon » », Figaro Vox, 13 août 2019.
[3] Cf. « Ne pleurez pas sur moi mais sur vous et vos enfants »
[4] Notamment Karim Ouchikh, Facebook, 15 août 2019 : « En ce 15 août, jour de l’Assomption, méditons le Vœu de Louis XIII consacrant son royaume à la Vierge Marie pour le bien de la France. Vierge Marie, veillez sur notre chère France ! » ; »Ce 15 août marque les 250 ans de la naissance de Napoléon Bonaparte qui demeure pour moi une figure illustre de notre histoire. Napoléon incarne l’énergie, la puissance et la grandeur de la France à une époque où l’hébétude, l’impuissance et le déclassement ruinent notre pays ».
[5] Cf. « Louis Rougier : l’itinéraire singulier d’un rationaliste engagé »
[6] Cf. « Sol Invictus, Saint-Jean et rituel maçonnique » ; « Valeur critique du procès actuel contre le christianisme »
[7] Julien Rochedy, Twitter, 14 août 2019 : « Les queues plates qui se cherchent des prétextes pour pouvoir célébrer Napoléon (le code civil, le général républicain, ou pourquoi pas l’architecte ?) me font pitié. Assumez aimer l’empereur pour la grandeur, la domination de votre pays, la volonté de puissance et la gloire » ; Christopher Lannes, Facebook, 15 août 2019 : « Aujourd’hui, pour les 250 ans de la naissance de Napoléon, des républicains gênés vous parleront du baccalauréat, du code civil, peut-être même de la Banque de France. Pardonnez-leur, car ils ne savent pas. Ils ne savent pas assumer, porter l’héritage napoléonien, le vrai. Quel est-il ? L’ont-ils oublié ? Ou craignent-ils d’oser le revendiquer ? Ils n’en ont simplement pas les épaules. Cet héritage, le seul qui compte, le voici : la gloire, la puissance, la grandeur de la France. C’est avant toute chose ce que tout napoléonien digne de ce nom se doit de commémorer aujourd’hui. Comme l’écrivait Maurice Barrès, Napoléon doit être notre « professeur d’énergie ». Il est l’homme qui enseigne aux hommes que tout peut arriver. Plus encore, l’homme qui enseigne aux Français que rien ne leur est impossible. Vive l’Empereur ! »
[8] Cf. « Macron et les Gilets jaunes : de quoi la macronie est-elle le nom ? »
[9] Cité par François Furet, dans Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, article Bonaparte, p. 220. François Furet précise l’état d’esprit de l’époque : « Enfermés dans l’égoïsme des intérêts et des plaisirs, leur [les Français] grande passion est la « vanité » : vanité individuelle, qui demande des « hochets », les petites différenciations de statut et de prestige indispendables au monde de l’égalité ; vanité collective, jalouse de la gloire nationale et de la grandeur de la France nouvelle. Que le gouvernement satisfasse ces sentiments, et il n’aura, pas plus que les Français, à se soucier de la liberté (…) C’est la formule de la dictature révolutionnaire fondée non plus sur la vertu mais sur les intérêts », ibidem
[10] BFMTV, 7 septembre 2017, « Quand Macron se compare (deux fois) à Napoléon »
[11] Lettre d’Henri Fertet à ses parents
[12] Cf. Bernard Faÿ, « La carrière maçonnique de Napoléon Ier » ; L’Ombre d’un doute, « Napoléon était-il franc-maçon ? »
[13] François Furet, op. cit., p. 225. « Ce petit gentilhomme corse juge la bourgeoisie, dont il ne sera jamais, mais il en partage le sentiment collectif le plus profond, l’amour-haine de l’aristocratie : cette passion de l’égalité à la française, héritière de l’Ancien Régime sans le savoir, et qui n’a d’apaisement provisoire que dans la supériorité acquise, reconnue, garantie, sur le voisin, sur l’ « égal ». Stendhal la nommera après lui, et comme lui, la « vanité » », op.cit., p. 218
[14] Notre histoire avec Marie
[15] François Furet, op.cit., p. 221
[16] Cf. citation finale de Chateaubriand.